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À l’est de Ramallah, nichée au cœur des collines bibliques, la petite ville de Taybeh, seule localité entièrement chrétienne encore debout en Cisjordanie, vit des heures sombres. Dans cette terre foulée par le Christ Lui-même, là où l’Évangile de saint Jean (11, 54) désigne « Éphraïm » comme le lieu où Notre Seigneur s’est retiré avant Sa Passion, le climat est désormais à la peur, à la violence et au départ.
Depuis plusieurs semaines, les agressions se multiplient, et ce n’est plus un hasard : c’est une stratégie. Les colons israéliens ont érigé un nouveau poste illégal à la périphérie est de la ville, juste sur les ruines d’une maison dont les propriétaires ont été chassés l’an dernier. Ce nouvel avant-poste se trouve au cœur même de la zone agricole vitale de Taybeh, un espace de près de 17 000 dounams (environ 4 200 acres), qui fait vivre les familles chrétiennes de la région grâce à l’exploitation des oliveraies, des fermes de volaille, de moutons et des cultures saisonnières.
Le prêtre local, l’abbé Bashar Fawadleh, curé de l’église du Christ Rédempteur, alerte :
»Nous vivons dans une peur quotidienne. Taybeh n’est plus un lieu de paix. Depuis octobre, plus de dix familles ont quitté la ville. «
La cause ? Une combinaison d’attaques physiques, de harcèlements constants et de restrictions administratives qui rendent la vie quasiment impossible.
Il ne s’agit pas de faits isolés. En 2019, en 2020, déjà, d’autres postes de colons avaient vu le jour autour de la ville, souvent accompagnés d’incendies criminels sur les cultures, de vols de matériel agricole et même de lâchers volontaires de bétail dans les champs pour ruiner les récoltes. On n’est pas simplement face à des provocations, mais à une logique d’étouffement programmé.
Plus récemment encore, durant la dernière saison de récolte des olives — la deuxième année consécutive — les paysans chrétiens n’ont pas pu accéder à leurs terres situées près de la colonie de Rimmonim, elle-même bâtie sur des terres volées à Taybeh. Conséquence : les olives ont été soit volées, soit perdues, et au moins vingt familles ont été agressées alors qu’elles tentaient simplement d’atteindre leurs champs.
Et comme si cela ne suffisait pas, les autorités israéliennes ont placé des grilles métalliques aux entrées de la ville, compliquant l’accès aux services essentiels, au travail, aux hôpitaux… Une situation intenable. Le père Fawadleh résume bien la situation :
»Ces obstacles, ajoutés aux restrictions agricoles, aggravent le chômage et la misère. On pousse les gens au départ«.
Il rapporte même une scène surréaliste, mais devenue tristement banale :
»Les colons font paître leurs vaches sur une colline où poussent des oliviers et de l’orge, juste à côté des habitations. C’est vu ici comme un message très clair : ils veulent que les chrétiens s’en aillent, que la ville meure«.
Et Taybeh n’est pas seule dans cette épreuve. À quelques kilomètres, dans le village de Kafr Malik, trois Palestiniens ont été tués mercredi dernier lors d’une attaque de colons. Une escalade de la violence dans cette Terre Sainte qui ne dit plus son nom.
À ce jour, plus de 160 colonies israéliennes ont été construites depuis le début de l’occupation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Et même si le gouvernement israélien s’obstine à nier toute illégalité, la majorité des instances internationales les considèrent bel et bien comme contraires au droit.
À travers Taybeh, ce n’est pas seulement une ville qui est visée : c’est un pan entier du christianisme en Terre Sainte que l’on cherche à effacer. Et dans le silence assourdissant des grandes puissances occidentales, ce sont des familles chrétiennes, héritières d’une foi millénaire, qui fuient une terre sanctifiée par les pas du Sauveur.